Entretien avec Damien Lasserre – CTO « The Second Life »

Entre 2024 et 2025 j’ai travaillé avec Damien au sein de l’équipe de développement TheSecondLife. Dans cette interview, Damien nous livre son parcours et donne des tips pour une carrière réussie en conjuguant travail à distance et vie de famille…


« D’ouvrier bâtiment à CTO »

Salut, je m’appelle Damien Lasserre, ça fait 15 ans que je travaille dans l’informatique…

Comment tu définirais ton travail à quelqu’un qui n’est pas du métier ?

C’est compliqué d’expliquer mon travail parce qu’il est toujours un peu abstrait pour les gens. En général je dis que je travaille dans l’informatique, je développe des programmes informatiques – c’est la méthode la plus simple pour expliquer… «Non c’est pas des jeux vidéos, je fais des programmes !»

Qu’est ce qui t’a fait tomber là-dedans, tu étais un gros geek à la base ?

Moi, ce métier m’a un peu sauvé parce que j’ai été j’ai été déscolarisé relativement tôt. J’ai quitté l’école à 16 ans, j’étais parti travailler dans le bâtiment, et j’ai eu l’opportunité d’avoir un patron qui m’a fait passer ce qu’on appelle un BTS technico-commercial – ce qui m’a permis d’avoir un bac puis un BTS, et de m’ouvrir finalement l’opportunité des écoles supérieures.

Mais oui déjà à cette époque là, j’étais un gros geek ! Je jouais beaucoup aux jeux vidéos et de là, je me suis aussi mis au développement. Au début c’était très basique : c’était du HTML/CSS et puis après je me suis intéressé à tous les langages, et je me suis dit pourquoi pas en faire mon métier. J’ai passé des concours pour intégrer Epitech.

Je suis passé de porter des sacs de ciment, à m’assoir derrière un bureau pour développer.

Ce qui a toujours été là en fait, ce n’est pas un cerveau exceptionnel mais plutôt un amour pour l’informatique, qui est toujours été présent. J’adore ça, quoi.

« Travail en full-remote et vie de famille »

C’est comment la vie d’un CTO ?

Je me lève le matin, je me fais un petit café, je commence à regarder mes projets, je développe… Et oui, je développe aujourd’hui : Notre équipe est réduite et ça me permet de mettre les mains dans le code… Comme les autres développeurs quand il y n’y avait pas de CTO. Mais je fais quand même de la gestion de projets hein 😀

tu as plutôt une casquette d’entrepreneur ou d’exécutant ?

Un peu au milieu j’ai l’impression… En tant que CTO ou non, j’ai toujours eu cette élan de tirer le produit, le drive-er… Je déteste quand on se cantonne à ce qu’on te demande de faire, j’aime bien arriver à mettre ma pâte. Alors évidemment je le fais « dans les règles de l’art » et je vais pas m’amuser à faire n’importe quoi, ce qui me chante… C’est pas une question d’ego, plus une question de logique : Parfois certaines choses sont logiques à faire alors je les intègre, voilà. Je ne parlerais pas trop d’exécutant ou entrepreneur, mais plutôt de profil « moteur ».

Après c’est dangereux parce qu’il faut savoir se doser pour ne pas non plus partir dans tous les sens. Il faut savoir ce concentrer sur l’essentiel et savoir abandonner le superficiel ! C’est un dosage qu’il faut avoir. Savoir cadrer un minimum.

Tes plus grand succès et échecs ?

Le plus haut moment de ma carrière ça a été ParkingMap : Une start-up dans laquelle on a réussi à constituer une belle équipe de 10 personnes. On a réussi à créer un outil qui a été incroyable en termes de technologie… Vraiment une très très bonne cohésion d’équipe… Pour moi c’était vraiment la meilleure expérience que j’ai eu au travail : De la technologie de pointe, une super équipe et une méthodologie de travail hyper calée.

Et la chute a été dure : Il y avait une très bonne vision mais le président a été remplacé par une personne qui ne comprenait pas ce qu’on faisait, vendait absolument n’importe quoi et a tué finalement l’essentiel de l’entreprise. On n’avait pas du tout la même vision sur ce qu’on faisait. On va dire que cette entreprise a été pour moi la plus grande amplitude haut/bas dans ma carrière.

Après j’ai travaillé avec de très grosses boites mais c’était pas pareil. Moins de liberté. Plus d’avantages effectivement mais moins de libertés. Aujourd’hui, je suis très content de là où j’en suis arrivé professionnellement. Mais ma plus grande réussite évidemment c’est mes enfants…

« Le full-remote aujourd’hui »

Tu travailles en full-remote, et tu as deux filles à la maison. Comment ça se passe ?

En fait ce qu’il faut se dire… C’est que le travail c’est important. Mais c’est une composante qui peut changer au cours de ta vie. La famille reste la chose la plus importante.

Donc je pense qu’on peut toujours aménager son travail – si on travaille bien – pour répondre aux besoins de sa famille. Si tu es investi dans ton travail mais qu’à 16h tu dois aller chercher ta fille à l’école… Ça pose pas de problème. Le télétravail m’a apporté cette souplesse.

Aujourd’hui je ne ferais pas autre chose. Surtout je ne veux pas avoir de culpabilité à me dire «Ok, je me casse à 16h chercher ma fille». Je ne veux pas avoir de culpabilité auprès de mes collègues parce que eux sont encore là, car je sais que j’apporte de mon côté ce qui est nécessaire à l’entreprise.

Va t-on vers une raréfaction du remote ?

[LP] Aujourd’hui moi qui suis en recherche de poste, je constate que le full-remote est très compliqué. Les entreprises freinent des quatre fers malgré l’essor du travail à distance post-Covid. Qu’en penses-tu ?

Aujourd’hui les directions ont du mal à se positionner sur le remote en pensant que c’est un avantage qu’on donne aux employés… Alors que finalement pas du tout en fait. Je constate – et les études le montrent – qu’on a tendance à travailler beaucoup plus de chez soi qu’en présentiel. C’est un problème qu’ont les dirigeants français vis-à-vis de ça, de se dire que c’est un cadeau fait aux salariés – alors que, je ne crois pas finalement.

Moi je travaille beaucoup plus en fait : je vais me barrer au magasin parce que j’ai une course à faire, pas de soucis, je continue à bosser jusqu’à 21h derrière. C’est un espèce de paradigme erroné entre ce qu’on pense qu’est le remote, et ce qu’il est réellement.

« Se tirer vers le haut »

Comment tu pourrais faire encore mieux ?

Mon plus gros challenge finalement c’est de continuer à évoluer. Toujours suivre la technologie c’est vraiment le challenge du quotidien quand on est développeur – peut-être même dans un autre métier. Se garder à jour avec tout ce qui sort, ne pas être largué, peut-être le faire de façon superficielle en surface mais en tout cas… savoir de quoi on parle. Le vrai challenge pour un bon développeur c’est de continuer à s’informer sur une technologie. Rester au courant.

Aujourd’hui si je devais améliorer mon travail, ça serait plus sur la partie organisationnelle. Essayer d’amener une organisation, non pas rigide mais plutôt flexible. Pouvoir répondre à une demande du produit de façon viable tout en gardant une flexibilité dans ce qu’on fait. Il y a toujours la part de d’évolution qui est très sympa à développer, qui est cool dans notre dans notre métier… Mais aussi la part de corrections de bugs.

Le plus difficile c’est de garder un équilibre entre ces deux aspects : Il ne faut pas que ce soit frustrant pour moi-même ou les autres développeur. Je cherche à éviter qu’on se dise « Pu*** je fais 90% de résolution de bugs et puis finalement j’apporte rien de nouveau » – même si c’est pas vrai parce que corriger un bug ça apporte quelque chose à l’entreprise. C’est ça en fait le plus gros plus gros truc que j’essaie d’améliorer.

Quel conseil tu donnerais à quelqu’un qui veut faire ton métier ?

De le faire 😉

Parce que c’est un super métier. Dans mon cas ça m’a « sauvé ». Ça m’a sauvé de l’échec scolaire, parce que moi j’étais pas du tout fait pour les études – je n’aimais pas du tout ça. Donc ça va vraiment sauvé et en plus, c’est un super métier parce que aujourd’hui tout est informatisé. A toutes les échelles, que ce soit l’informatique orientée web ou autre, c’est tellement utilisé, il y en a partout, donc c’est vraiment un métier où tu ne connaîtras jamais la crise. Si tu es bon(ne) et investi(e) dans ce que tu fais, je pense qu’il faut pas se voiler la face, c’est un métier aujourd’hui qui apporte une certaine stabilité et surtout un gros avantage salarial par rapport à d’autres métiers – qui sont sont difficiles. Et puis on travaille sur des trucs qui sont en constante évolution : C’est jamais la même chose…

Pour moi c’est un super job et si vraiment on me posait la question moi je dirais « Faut y aller ».

Le développement c’est sous-côté. On se dit que ça va être hyper chiant, qu’on va écrire des lignes inbuvables sur des terminaux type Matrix… Alors que pour le cerveau, tu gagnes toujours quelque chose. Quand tu développe une feature et que tu y as passé du temps, peut-être trois, quatre heures dans ta journée… et qu’à la fin ça fonctionne… C’est gratifiant. C’est un rush, un sentiment vraiment vraiment stylé.

Tu donnerais quoi comme conseil à toi-même, 10 ou 15 ans en arrière ?

Je me dirais de ne pas lâcher, de continuer en fait. Je n’ai rien à regretter dans tout mon parcours. Si je retourne 10 ou 20 ans en arrière je me dirais simplement : «Voilà c’est bien, tu vas réussir c’est cool. Tu vas tu vas faire ce que tu aimes et ça va bien se passer.».

Je n’ai aucun regret dans ma carrière. Qui est petite hein, je n’ai que 38 ans donc elle n’est pas encore finie mais je n’ai rien à regretter c’était, et c’est encore une superbe aventure.

Je remarque que tu as une excellente élocution… C’est un de tes super-pouvoirs ?

Merci 🙂

C’est vrai, ça m’a toujours beaucoup aidé dans les entretiens et même dans ma crédibilité auprès des entreprises dans lesquelles j’ai pu travailler. J’ai beaucoup travaillé mon vocabulaire, mon élocution tout ça pour que j’aie toujours cette facilité assez fluide à échanger et surtout démocratiser certains aspects techniques. Être capable d’expliquer avec des mots, en des termes simples ou des fois un peu plus soutenus, lors de soutenances par exemple… Ça m’a toujours beaucoup aidé et c’est un aspect sur lequel j’ai toujours beaucoup travaillé. Savoir employer des termes qui sont adaptés aux personnes auxquelles je m’adresse est important.

On va pas se mentir aujourd’hui tu as des très bons développeurs, qui sont très très forts dans ce qu’ils font. Par contre quand il est question d’expliquer ce qu’ils font ou d’avoir une approche plus orientée business de ce qu’ils font… c’est très compliqué. Très très compliqué. Mais on peut pas leur en vouloir en fait, parfois il y a des gens qui sont là pour ça, mais moi ça a toujours beaucoup aidé.

En tout humilité, c’est ce truc qui m’a aussi permis d’accéder à des postes de direction techniques finalement. Ce skill, je l’ai travaillé en fait. Ça fait partie des astuces qu’on pourrait donner aux futurs développeurs : « Travaillez aussi votre élocution ou en tout cas votre la capacité de démocratiser, à simplifier ce que vous faites.»

Il faut savoir parler, c’est important. Les lignes de code, ça ne parle pas à tout le monde 🙂